Jean Giono en 1968 : "Je n'ai rien écrit encore de ce que je voudrais écrire"

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Jean Giono en 1968 : "Je n'ai rien écrit encore de ce que je voudrais écrire"

Jean Giono à son bureau en 1955.
Jean Giono à son bureau en 1955.
© Getty - Erwin Blumenfeld/Condé Nast

1968. Jean Giono était l'invité de Pierre Lhoste en 1968 à l'occasion de la publication de son roman "Ennemonde et autres caractères". L'écrivain se confie sur ses habitudes d'écriture, il livre ses réflexions sur le bonheur, la vie et la mort, l'immortalité de l'âme et révèle son insatiable curiosité.

L'entretien avec Jean Giono commence par une discussion autour de la parution de son dernier roman "Ennemonde et autres caractères". Pierre Lhoste fait parler l'écrivain au sujet de son personnage principal, Ennemonde, dont il dit qu' "elle n'a pas eu d'amour avec son mari, elle a eu simplement des enfants... mais ce n'est pas l'amour". Au sujet d'une phrase qui a marqué Pierre Lhoste, Jean Giono s’explique sur ce qui lui semble être le mystère de la lumière : "Généralement, on croit que le mystère est fait par de l'ombre et non par l'excès de lumière. L'excès de lumière c'est également du mystère. [...] La lumière est très mystérieuse quand elle est éclatante."

"Une heure avec Jean Giono". Une émission diffusée le 03/04/1968.

1h 00

L'écrivain estime n'avoir qu'une seule habitude pour écrire, celle de "travailler". "J'ai la manie de travailler, je travaille tous les jours", explique-t-il simplement. et son seul excitant c'est la "curiosité", nul besoin d'alcool ou de café. Il précise aussi avoir "toujours plusieurs livres en train", donc il ne s'arrête jamais d'écrire après en avoir fini un, d'ailleurs il n'est jamais sûr qu'un livre puisse être achevé, "on aurait envie toujours de le reprendre, on voudrait recommencer". Mais Giono avance dans son travail et il confie oublier très facilement ses livres précédents, il ne les connaît même plus. De ses personnages, Giono les qualifie de "vivants", c'est-à-dire "pas industriels", mais plutôt comme "une émanation naturelle de soi-même". 

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Jean Giono confie ne pas se sentir "beaucoup d'aptitude à la métaphysique", il ne voit pas de mystère dans la vie, tout lui semble "très simple", pas confronté à l'immortalité de l'âme. "Il faut bien qu'il y ait une fin, ça me paraît très normal", affirme-t-il et après "on revient dans une sorte de chimie universelle et de matière". Sur les raisons du bonheur , il lui semble qu' "il faut avoir le tempérament d'être heureux" et "ne pas courir après, ne pas chasser le bonheur" car il croit "qu'on l'a presque toujours partout". Il insiste également sur la place considérable des rêves dans sa vie, pour lui sa vie de tous les jours c'est "constamment du rêve mélangé au réel".

Se connaître soi-même, et en étant soi-même on devient heureux. Et quand on se connaît, on connaît les autres.

Giono se sent encore pleinement curieux de ce qu'il a à écrire de nouveau, "je veux mourir avec la phrase écrite inachevée". "La suite, c'est ça qui m'intéresse, beaucoup plus que ce qui est passé", dit-il joyeusement.

Un roman ça ne peut pas se définir, c'est mon expression poétique. C'est le bonheur de pouvoir l'écrire, de l'exprimer, de ne pas le garder pour moi-même mais de lui donner une forme écrite. Quand on le garde en soi-même, ce travail est purement spirituel, c'est presque un fantôme. Pour lui donner une chair, il faut lui donner un style, une syntaxe des mots et une harmonie, et c'est ça qui m'intéresse.

  • "Une heure avec"
  • Première diffusion le 03/04/1968
  • Producteur : Pierre Lhoste
  • Indexation web : Odile Dereuddre, de la Documentation de Radio France
  • Archive INA - Radio France