Après cinq nuits consécutives de violences urbaines en réaction à la mort de Nahel M. mardi dernier par un policier, la France se trouve sous le feu des projecteurs. Vu du Moyen-Orient, les émeutes semblent traduire les limites d’un modèle démocratique, défaillant sur ses propres valeurs. Si certains critiquent le racisme des institutions, d’autres voient dans la violence des manifestants la déchéance d’un État trop permissif. Dans les colonnes du quotidien saoudien al-Chark al-Awsat, Abdel Rahman al-Rached, éminent journaliste et intellectuel, ne mâche pas ses mots. Les manifestations sont le reflet de « la faiblesse de l’autorité centrale » et du « respect décroissant des institutions de l’État ». La raison selon l’éditorialiste ? Des « voies législatives et judiciaires » trop complaisantes, transformant les « manifestations en un état de guerre civile sur le terrain ». Et ce n’est pas tout : « La raison de l’échec sécuritaire en France vient aussi d’un échec culturel », poursuit l’éditorialiste, pointant l’immigration dont « souffrent les pays européens » et laissant ainsi entendre que les manifestants les plus violents en seraient issus.
Un avis partagé par de nombreuses voix émanant de pays du Golfe peu familiers de la contestation sociale et pratiquant une politique répressive systématique envers les opposants au régime. « La naturalisation (des personnes immigrées, NDLR) est un danger existentiel qui menace et détruit n’importe quel pays », se fend ainsi dans un tweet Khalaf Ahmad al-Habtoor, un influent homme d’affaires émirati, rejoignant ainsi les thèses de l’extrême droite et d’une partie de la droite française. « On ne peut qu’être confus lorsqu’on lit ce que la presse arabe écrit sur les événements de la France », s’indigne en retour Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam), sur son compte Twitter. « Les manifestations de banlieue ne sont pas un critère suffisant pour juger de l’échec des millions de citoyens français qui portent un nom arabe ou africain », s’insurge-t-il, rappelant également que les personnes nées en France de parents ou de grands-parents étrangers ne devraient plus être soumis à l’injonction de s’intégrer, mais être considérées comme citoyens français à part entière. À rebours des discussions identitaires, pour le politologue algérien, les événements qui secouent la France relèvent bien plus d’une « revendication du droit à l’égalité et à la justice pour tous ».
« La tête d’un Arabe »
« Malheureusement, il n’est pas surprenant que Nahel (...) dont la vie a été tragiquement interrompue par la police soit d’origine algérienne », pouvait-on lire ce vendredi dans une tribune offerte par le média qatari al-Jazeera à la sociologue Crystal M. Fleming. Selon elle, la mort brutale du jeune homme traduirait le racisme « systémique » de l’État français à l’égard des populations notamment d’origine maghrébine. Un héritage d’une « longue histoire coloniale », que la France ne serait pas prête à reconnaître, aveuglée par l’universalisme affiché de ses valeurs. Une posture que semble relayer le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), qui a déclaré vendredi qu’il était temps pour la France de s’attaquer aux « profonds problèmes de racisme et de discrimination parmi les forces de l’ordre ». Par ailleurs, la mère de Nahel M. a pris la parole jeudi dans une interview diffusée sur France 5, estimant que le policier « a vu une tête d’un Arabe, d’un petit gamin » et « a voulu lui ôter la vie », tout en précisant ne pas en vouloir à l’ensemble de l’institution policière.
Côté algérien, la double nationalité de l’adolescent tué a servi de prétexte pour mettre tacitement en garde les autorités françaises. Assurant « faire confiance au gouvernement français à assumer pleinement son devoir de protection, soucieux de la quiétude et de la sécurité dont doivent bénéficier nos ressortissants sur leur terre d’accueil », le ministère algérien des Affaires étrangères a été accusé d’ingérence par une partie de la classe politique française, suscitant une surenchère du discours anti-immigration. « Si l’Algérie s’inquiète pour ses ressortissants présents en France, qu’elle n’hésite pas à les récupérer, à commencer par ceux qui violent les lois de la République française », a rétorqué Jordan Bardella, président du Rassemblement national lors d’une conférence de presse.
Loin des débats identitaires, d’autres réactions de la région semblent plutôt profiter de l’événement tragique pour critiquer les autorités françaises sur d’autres terrains. Dans le Daily Sabah, média turc prorégime, on préfère pointer la présence vivement contestée du président français Emmanuel Macron mercredi, au concert du chanteur britannique Elton John, en pleine flambée des tensions. En Iran, la condamnation officielle des autorités appelant la France à « mettre fin au traitement violent » de sa population et à faire « preuve de retenue » dans la crise provoquée par la mort de Nahel M. sonne comme une revanche sur la solidarité dont avait fait preuve la France à l’égard du mouvement de contestation qui avait saisi la République islamique en septembre dernier, et dont les manifestants ont été durement réprimés.
commentaires (9)
Les critiques de biens des pays arabes contre la France rappellent celles qu’ils adressaient au Liban dans les années 60 et début des années 70 chaque fois que celui-ci tentait de contenir les mouvements palestiniens implantés sur son sol. On sait comment ça s’est terminé…
AntoineK
23 h 37, le 04 juillet 2023